Le siècle de l'automobile

Présenter dans l'exposition plusieurs modèles de véhicules automobiles qui ont marqué les époques traversées par l'histoire du casino a pour objectif de placer au centre du dispositif des objets qui, au-delà de leur caractère novateur au plan technique, sont devenus les symboles mythologiques de ces époques. Chacun de ces véhicules devient porteur des valeurs que les femmes et les hommes ont placé dans la possession et l'usage de ces objets : références sociétales, culturelles, historiques.
Par souci de clarté, le choix a été fait de suivre une marque (Citroën) à travers les époques en présentant les modèles clefs qui sont devenus des emblèmes de la société française au cours de chacune de ces périodes.

 

1934

La Traction avant : un mythe associé à l’histoire de France

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Quand le Quai de Javel dévoile sa « Traction » en 1934, ses nombreuses nouveautés techniques lui donnent 20 ans d’avance. Si les constructeurs mondiaux en sont à la propulsion arrière, Citroën innove avec la «Traction». C’est dans un contexte mondial de crise -après le krach boursier de l’automne 1929- que l’entreprise Citroën, qui connaît des difficultés de trésorerie, lance une automobile «riche en solutions originales». André Citroen n’hésite pas à agrandir et moderniser son usine parisienne pour fabriquer son nouveau véhicule. Il a déjà créé la surprise, au sortir de la Première Guerre mondiale, en transformant son usine de munitions, pour produire en masse des voitures à des prix abordables.
Voiture résolument moderne à cette époque, la Traction est une structure monocoque. Ses freins sont hydrauliques et suspension indépendante aux 4 roues. Ce qui va faire de la Traction la reine de la tenue de route. Voiture mythique, elle est associée à l’histoire de France. D’abord voiture de la Gestapo elle devient rapidement, une fois la croix de Lorraine peinte sur ses portières, la voiture des FFI et autres maquisards . Sa tenue de route intéresse également les truands qui en font leur voiture de prédilection pour les braquages.

 traction verière 1930

La «7» Citroën
Tandis que progressait la visite, les explications données par M. André Citroën et ses collaborateurs précisaient la situation. Depuis près de deux ans, on se rend compte ici que pour lutter contre l’apathie générale et pour reconquérir une place prééminente sur les marchés étrangers, il faut sortir une voiture d’une conception entièrement nouvelle, sensationnelle par sa technique, ses caractéristiques, son prix. On attaque le problème sous tous ses aspects, moteur, transmission, carrosserie, prix de revient. Pour faire du 100 à l’heure en sécurité, avec une voiture légère ( la «Sept» pèse 900 kilos) et un moteur à faible consommation, le véhicule doit être très bas et sa pénétration dans l’air réduite au minimum. On adoptera donc la traction avant qui, en supprimant l’arbre de transmission au pont arrière, permet de se rapprocher du sol.

La carrosserie carénée sera vraiment aérodynamique, non seulement par la forme de sa partie supérieure, mais par ses dessous. Au lieu des protubérances habituelles, un plancher uni n’offrant aucune résistance à l‘air. Plus de longerons. C’est la carrosserie qui forme le châssis, prenant l’aspect d’une coque métallique entièrement en acier.

 

1948

La  2 CV : plus qu’une voiture : un art de vivre

2 cv

En 1945, l’industrie française est exsangue. Les usines sont partiellement détruites, les machines sont vétustes et les prototypes des 2 CV de 1939 ont disparu (on les retrouvera, enterrés, près de 50 ans plus tard au moment de la destruction des anciennes usines Citroën de Levallois). L’état français décide de planifier la reprise économique et de répartir les rares matières premières entre les constructeurs, selon un mode de distribution fondé sur des catégories spécifiques à fabriquer. Citroën, qui dispose de la Traction Avant, lancée en 1934 et encore très moderne (elle sera produite jusqu’en 1957), n’est pas prioritaire pour les petites voitures. C’est son concurrent Renault, tout juste nationalisé, qui aura la primeur de la catégorie, et pourra ainsi présenter dès 1946 sa 4 CV, commercialisée en 1947. La 2CV est cependant développée et présentée au Salon de Paris en octobre 1948."Ce slogan que les collectionneurs actuels de 2 CV apposent fièrement sur leur voiture, résume bien le statut particulier de cette automobile. La 2 CV est plus qu’un moyen de transport, elle présume d’un mode de vie, emprunt de liberté, de simplicité et d’un certain humanisme. Elle conquiert les ''Baba Cool'' et les écologistes d’avant-garde. Les multiples surnoms de la 2 CV témoignent d’un rapport affectif à l’objet. ''Deuche'', ''Deudeuche'', ''Deux Pattes'', par exemple, révèlent une certaine tendresse et une forme de personnalisation de ce qui devient une expression de sa propre identité. Ceux qui roulent en 2 CV se veulent simples, sympathiques, respectueux des autres et de leur environnement. La 2 CV est un subtil mélange des références ''clichés'' de la France, comme la baguette de pain ou le camembert, avec des valeurs de liberté, de tolérance, d’ouverture, voire de créativité artistique. La 2 CV a d’ailleurs été associée à la plupart des mouvements sociaux et artistiques : du Pop Art, au mouvement Hippie, en passant par Mai 68 et les rêves de tour du monde. Très peu d’automobiles ont atteint un tel statut. La Ford T, la Jeep ou la Volkswagen Coccinelle peuvent peut-être le revendiquer mais elles étaient moins abouties dans l’alchimie du ''pratique'' et du ''symbolique''. Aucune d’entre elles n’est allée aussi loin dans ''l’essentiel''.2 cv chatelaillon
 
La 2 CV est le reflet d’une époque, qui mêlait la satisfaction du besoin primaire d’équipement à la volonté d’évasion et de liberté à la portée de tous. Elle a réconcilié les plus autophobes avec l’automobile. Elle fut, dans les années 50 et 60, la première voiture neuve pour beaucoup de français ; et elle connut (et connaît encore) un marché de l’occasion très actif, particulièrement chez les jeunes gens dans les années 70 et 80. Tout le monde, ou presque, en a possédé une, ou eu un parent ou un ami qui en avait une." (Source : Autonews)

" La 2CV entre alors dans la légende. On raconte un peu partout ses aventures extraordinaires, ses odyssées fabuleuses (voyages, raids, aventures, périples, randonnées à travers le monde). La 2CV a fait le tour du monde.
Après quarante deux ans d’une carrière bien remplie, sa production cesse le 27 juillet 1990 dans l’usine Citroën de Mangualde au Portugal. Mais la 2CV n’est pas morte pour autant !

Elle reste à jamais dans les mémoires de ceux qui l’ont utilisée. Avec elle, ils se sont rendus chaque matin sur le chemin du travail. Elle a été le symbole de la liberté et des vacances. Ils l’ont emmenée tout autour de la terre, se jouant des situations difficiles en traversant les continents le plus simplement du monde." (source : https://2cv-legende.com)

1955

LA DS 19 : davantage qu'une voiture, une révolution

Présentée en 1955, la DS est une révolution. Révolution de style, signé Flaminio Bertoni, révolution technique (l’hydraulique à tous les étages, déjà testée sur la 15-6 H, lire aussi : Citroën 15/6H mais aussi le volant monobranche, la boîte de vitesse etc), révolution tout court dans une France qui se reconstruit et qui a besoin de symboles. Une DS ne ressemble à rien d’autre qu’une DS. Elle peuplera dès lors les nationales, les palais républicains, et les films populaires (Fantomas en particulier, mais tous les films de Louis de Funès, la star de l’époque, en général).

"Je crois que l’automobile est aujourd’hui l’équivalent assez exact des grandes cathédrales gothiques : je veux dire une grande création d’époque, conçue passionnément par des artistes inconnus, consommée dans son image, sinon dans son usage, par un peuple entier qui s’approprie en elle un objet parfaitement magique.Citroen dsuper5 front
La nouvelle Citroën tombe manifestement du ciel dans la mesure où elle se présente d’abord comme un objet superlatif. Il ne faut pas oublier que l’objet est le meilleur messager de la surnature: il y a facilement dans l’objet, à la fois une perfection et une absence d’origine, une clôture et une brillance, une transformation de la vie en matière (la matière est bien plus magique que la vie), et pour tout dire un silence qui appartient à l’ordre du merveilleux. La «Déesse» a tous les caractères (du moins le public commence-t-il par les lui prêter unanimement) d’un de ces objets descendus d’un autre univers, qui ont alimenté la néomanie du XVIIIe siècle et celle de notre science-fiction: la Déesse est d’abord un nouveau Nautilus.
C’est pourquoi on s’intéresse moins en elle à la substance qu’à ses joints. On sait que le lisse est toujours un attribut de la perfection parce que son contraire trahit une opération technique et tout humaine d’ajustement: la tunique du Christ était sans couture, comme les aéronefs de la science-fiction sont d’un métal sans relais. La DS 19 ne prétend pas au pur nappé, quoique sa forme générale soit très enveloppée; pourtant ce sont les emboîtements de ses plans qui intéressent le plus le public: on tâte furieusement la jonction des vitres, on passe la main dans les larges rigoles de caoutchouc qui relient la fenêtre arrière à ses entours de nickel. Il y a dans la DS l’amorce d’une nouvelle phénoménologie de l’ajustement, comme si l’on passait d’un monde d’éléments soudés à un monde d’éléments juxtaposés et qui tiennent par la seule vertu de leur forme merveilleuse, ce qui, bien entendu, est chargé d’introduire à l’idée d’une nature plus facile.
Quant à la matière elle-même, il est sûr qu’elle soutient un goût de la légèreté, au sens magique. Il y a retour à un certain aérodynamisme, nouveau pourtant dans la mesure où il est moins massif, moins tranchant, plus étale que celui des premiers temps de cette mode. La vitesse s’exprime ici dans des signes moins agressifs, moins sportifs, comme si elle passait d’une forme héroïque à une forme classique. Cette spiritualisation se lit dans l’importance, le soin et la matière des surfaces vitrées. La Déesse est visiblement exaltation de la vitre, et la tôle n’y est qu’une base. Ici, les vitres ne sont pas fenêtres, ouvertures percées dans la coque obscure, elles sont grands pans d’air et de vide, ayant le bombage étalé et la brillance des bulles de savon, la minceur dure d’une substance plus entomologique que minérale (l’insigne Citroën, l’insigne fléché, est devenu d’ailleurs insigne ailé, comme si l’on passait maintenant d’un ordre de la propulsion à un ordre du mouvement, d’un ordre du moteur à un ordre de l’organisme).
Il s’agit donc d’un art humanisé, et il se peut que la Déesse marque un changement dans la mythologie automobile. Jusqu’à présent, la voiture superlative tenait plutôt du bestiaire de la puissance; elle devient ici à la fois plus spirituelle et plus objective, et malgré certaines complaisances néomaniaques (comme le volant vide), la voici plus ménagère, mieux accordée à cette sublimation de l’ustensilité que l’on retrouve dans nos arts ménagers contemporains: le tableau de bord ressemble davantage à l’établi d’une cuisine moderne qu’à la centrale d’une usine: les minces volets de tôle mate, ondulée, les petits leviers à boule blanche, les voyants très simples, la discrétion même de la nickelerie, tout cela signifie une sorte de contrôle exercé sur le mouvement, conçu désormais comme confort plus que comme performance. On passe visiblement d’une alchimie de la vitesse à une gourmandise de la conduite.Ds chatelaillon
Il semble que le public ait admirablement deviné la nouveauté des thèmes qu’on lui propose: d’abord sensible au néologisme (toute une campagne de presse le tenait en alerte depuis des années), il s’efforce très vite de réintégrer une conduite d’adaptation et d’ustensilité (« Faut s’y habituer »).
Roland Barthes, 1957, dans « Mythologies », extrait des Œuvres complètes I, Editions du Seuil

Soixante ans après la sortie de la DS 19, le mythe reste vif, comme en témoigne l’ardeur des collectionneurs: des DS carrossées par Henri Chapron ont par exemple atteint des chiffres record lors de ventes par Christie’s et Bonhams au salon Rétromobile dans les années 2000, prouvant que la fascination de la machine n’est pas l’apanage des artistes.